🗓️ Le 21 octobre 2025
🏁 Kilomètres : 12,5
Ça y est ! Le jour J ! Le jour que j’ai langui depuis 5 ans ! Petit déjeuner rapide avec un yaourt et une banane et c’est parti à 7h. Steffie, qui avait comme projet de faire les 100 derniers kilomètres en stop pour rejoindre la ligne de départ se dégonfle et nous rejoint dans la voiture que nous partageons avec Ben, Steve et Georges. Notre conducteur Brian nous informe que le trajet se fera en 2 heures -pauses comprises - et s’improvise également guide de fortune. Il nous communique beaucoup d’éléments sur la culture locale : les premiers habitants de l’île, les Maoris, sont arrivés en Nouvelle-Zélande il y a environ 700-800 ans. Le peuple Maori est un mélange de polynésiens et de descendants asiatiques originaires de Taïwan, résultat d’une migration longue de 6000 ans. De nombreuses études démontrent des similarités au niveau génétique, linguistique et des pratiques culturelles. Il nous parle également d’Abel Tasman, un navigateur néerlandais qui était parti en exploration pour trouver l’hypothétique “Terra Australis incognita” pour la couronne néerlandaise, qui découvrit à la place la Tasmanie (d’où son nom!) et par après la Nouvelle-Zélande vers l’année 1642. Il cartographie la côte ouest du pays sans pour autant y poser un pied et repart vers Batavia, une ancienne colonie hollandaise qui s’appelle aujourd’hui Jakarta. Brian nous apprend également quelques spécificités du langage Maori et un peu de géographie locale. L’endroit auquel nous nous rendons, appelé le Cap Reinga, se situe à l’extrême pointe nord de l’île du nord de la Nouvelle-Zélande. Une mince bande de terre, large d`à peine d’une dizaine de kilomètres et qui s’étend sur une centaine de kilomètres (voir carte). Sur les dernières minutes du trajet, quelques collines se dessinent, Brian nous informe qu’à l’origine il s’agissait d’une île et que du sable s’est accumulé pendant des millions d’années, l’attachant ainsi à l’île principale de manière atypique. Notre chauffeur effectue quelques arrêts pour nous faire profiter des paysages et même boire un café.
La météo est superbe, la fraîcheur du matin toujours présente, un air vivifiant, une nature superbement verte et bleue. Au fur et à mesure du trajet, je sens l’émotion me monter. Ces cinq dernières années, j’ai souvent imaginé ce que serait le sentiment de se rendre au point de départ du trek, je m’imaginais ressentir des émotions … et je suis content de sentir qu``elles sont effectivement au rendez-vous. J’observe le bleu de l’océan avec son écume blanche qui se forme lorsque les vagues se fracassent sur les rochers. Les arbustes qui peuplent les collines autour de nous sont des manuka, dont les abeilles pollinisent les petites fleurs blanches, roses et rouges afin de faire le miel mondialement réputé : le miel manuka de Nouvelle-Zélande. D’autres plantes bordent la route comme le chou palmiste ou le lin de Nouvelle-Zélande et qui donnent un air exotique au paysage.
Et enfin nous y voici, le bout de la route. Au delà, c’est l’océan, l’océan vaste, l’océan infini, l’océan hypnotisant. Brian nous dépose, nous le payons et il retourne à Kaitaia. Et nous, nous réalisons que nous sommes là, au bout du bout de la terre, avec pour unique ressource nos sacs à dos bombés et nos rêves qui nous ont guidés jusqu’ici.Depuis le parking où Brian nous a déposé, nous avons un point de vue époustouflant. Le phare blanc du cap Reinga nous attend un peu plus bas, une quarantaine de mètres au dessus de l’océan, avec ses falaises et ses rochers en contrebas sur lesquels les vagues s’écrasent en un incessant fracas. Nous le touchons du doigt, à peine 5 minutes sont nécessaires pour rejoindre le phare à pied. Le phare du Cap Reinga représente la ligne de départ de notre incroyable aventure, le kilomètre zéro. La petite plateforme sur laquelle le phare se tient comporte également un panneau qui donne les directions et les kilomètres de plusieurs endroits dans le monde. Sydney à 1975 km, Tokyo à 8475 km, Los Angeles à 10573 km, Londres à 18029 km. Le panneau donne aussi la distance avec Bluff qui sera le lieu de notre arrivée finale au sud de la Nouvelle-Zélande, si nous tenons bon les 3058 km de chemins qui nous attendent (1452km à vol d’oiseau). J’ai imaginé ce moment des dizaines de fois dans ma tête, pressenti que chaque parcelle de mon corps allait vibrer sous l’émotion incroyable que dégage ce lieu, me sentir à la fois léger dans la perspective d’avoir 6 mois de liberté devant moi et aussi lourd du poids de me lancer dans l’inconnu. J’avais imaginé à quoi pouvait ressembler ce lieu, la magie qui pourrait y régner … et j’ai été surpris qu’en réalité, c’était encore meilleur que mes rêves les plus fous !Nous prenons des photos puis nous nous asseyons silencieusement pour observer ce paysage.
Après quelques minutes à savourer, nous lançons le décompte officiel et c’est parti, nous foulons les premiers pas de ce qui sera, nous le savons déjà, la meilleure aventure de notre vie. Le chemin serpente en descente avec les falaises à notre droite et la première plage devant nous. La journée s’annonce courte. Deux plages de 3km et quelques kilomètres de chemin dans les dunes, pour un total de 12,5km. La plage est magnifique, sans âme qui vive, uniquement avec nos cœurs qui battent. Au bout de 5 kilomètres, nous quittons la plage et entrons dans les dunes, recouvertes parfois de sable, parfois de terres rouge et jaune, un peu de végétation et des manuka qui bordent le chemin. En arrivant au bout des dunes, en s’approchant de la deuxième plage, un spectacle désolant se déroule sous nos yeux. Nous avions été prévenu la veille qu’une trentaine de baleines “pilotes” à nageoires longues s’étaient échouées sur la plage. Le groupe qui a démarré le trek le jour avant avait reporté sur la communauté WhatsApp ce triste évènement. Les rangers du département de conservation avaient recommandé par messages de ne pas s’en approcher et de ne pas tenter de les remettre à l’eau. Une fois échouées, les baleines n’ont aucune chance d’en réchapper. Le groupe les ayant trouvées avait décrit que la moitié des baleines étaient mortes et que l'autre moitié étaient encore vivantes. Et c’est à notre tour d’arriver sur ces lieux. Presque 24h après, elles sont encore toutes là, échouées sur la partie la plus haute de la plage où les vagues de la marée les auront poussées. Les cétacés sont magnifiques, de 2 à 5 mètres selon qu’il s’agisse de petits ou d’adultes, la peau noire luisante, les yeux semblent figés d’un dernier regard de détresse. Nous marchons le long des 3 kilomètres où les baleines sont échouées ça et là, et à notre grande consternation, 3-4 d’entre elles sont encore agonisantes, semblant rendre leur dernier souffle. Quel spectacle désolant. Au fur et à mesure de notre avancée, nous voyons les rangers débarquer avec deux véhicules et un tracteur. Ils nous informent que ce type d’évènement n’est pas rare et que plusieurs causes peuvent l’expliquer : la présence de nourriture proche de la plage qui ne possède pas assez de profondeur, leurs liens sociaux très forts (si l’un appelle à l’aide, les autres viendront tous et peuvent se retrouver coincés eux-mêmes). Il pourrait aussi s’agir d’activités électromagnétiques déroutantes, ou d’utilisations humaines de sonars qui les désorientent et les font paniquer. Les rangers ont l’intention de les enterrer un peu plus haut dans les dunes. En arrivant au bout de la plage, nous croyons entendre un coup de feu - nous espérons qu’il s’agisse d’un coup de feu - les quelques créatures encore agonisantes méritent qu’on les aide à en terminer avec ce supplice.
C’est un peu sous le coup de l’émotion que nous grimpons les quelques marches qui nous mènent au “twilight camp”, le lieu où nous passerons notre première nuit. Il s’agit d’une bande d’herbe située à une trentaine de mètres au dessus de la plage, d’où la vue est splendide. Une petite structure en bois permet de s’asseoir à l’abris si jamais il venait à pleuvoir. Nous avons pris notre temps pour faire ce premier jour de randonnée et pourtant, il n’est que 14h. Nous prenons le temps de discuter, montons nos tentes, mangeons le dîner déjà à 17h30 et terminons la journée en observant le coucher de soleil majestueux qui s’offre à nous, le camp surplombant la plage et donnant directement vers l’ouest. Nous étions 5 mais entre temps, Fred et Isabelle, un couple français de Dôle qui semble un peu perdu face à leur lacunes en anglais nous rejoignent. Un peu plus tard un couple venu des États-Unis arrivent. Ils nous racontent qu’en passant sur la plage où les baleines étaient échouées, les rangers ne les ont pas laissés marcher et ils ont été conduits sur les trois derniers kilomètres en buggy. Ils ajoutent également que la plage va être fermée pour quelques jours, le temps d’enterrer les cétacés dans un trou et aussi pour raison culturelle : la communauté Maori met en place un “Rahui”, un temps pour laisser les âmes des défunts (humain et animal) disparaître progressivement, nettoyées par les éléments. Je trouve ça beau et poétique. Nous sommes donc passés tout juste, à un jour près nous aurions pu être bloqués avant même de démarrer notre aventure.
Malgré l’émotion provoquée par l’échouement des baleines, je suis heureux de cette première journée et je me couche avec autant d’étoiles dans les yeux qu’il y a d’étoiles au dessus de ma tête.
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