🗓️ Le 27 octobre 2025

🏁 Kilomètres : 161

 

Quatre heures du matin, il fait encore noir. La tente suinte d’humidité, le sac de couchage semble moite. Il fait particulièrement froid ce matin mais, la journée promettant d’être longue, il faut s’activer. Je range méthodiquement mes affaires selon une méthode qui commence à être bien huilée. Il y a déjà une semaine je suis sur la route. Nous avons trouvé notre mode de fonctionnement avec notre groupe de 5 ; nous nous retrouvons pour partager la soirée mais durant la journée nous marchons chacun seul. La veille néanmoins, nous avions décidé avec Steffie de marcher ensemble aujourd’hui. Georges est avec un ami depuis deux jours, nous le retrouverons ce soir. Ben souffre toujours de ses ampoules aux pieds et son visage est fermé depuis 3 jours, nous ne sommes pas sûrs de ses intentions. Steve nous annonce qu’il décide de ne pas se frotter au challenge du jour et qu’il nous retrouvera à un autre point dans quelques jours ; la veille il a discuté avec un local qui l’a complètement refroidi sur les difficultés de cette journée et par rapport à la météo à venir. La traversée qui nous attend aujourd’hui s’annonce difficile. Un peu à la manière de Ninety Miles Beach, la forêt de Raetea est un mythe dans la communauté Te Araroa. Les témoignages de ceux qui l’ont déjà traversée sont parfois intimidants : “de la boue jusqu’aux genoux”, “12 à 14h nécessaires pour en arriver au bout”, “la section la plus boueuse de ces 3000 km”, “des chutes à répétition” …

 

Le petit déjeuner avalé, nous démarrons à 05h45 avec nos lampes frontales, même si nous ne les utiliserons pas très longtemps. Nous longeons la forêt, nous ne sommes pas encore sous le couvert des arbres et l’aube s’installe déjà, révélant aisément le chemin à suivre. La météo semble claire, le ciel perd progressivement ses étoiles au profit de couleurs encore timides. Après avoir serpenté trois quart d’heure sur un chemin, nous pénétrons dans la forêt. Le chemin laisse place à un sentier, qui s’efface lui aussi pour ne laisser qu’une sorte de passage plus ou moins dégagé au milieu d’une forêt qui semble impénétrable. La boue commence à faire son apparition, d’abord occasionnelle, puis de manière répétée, avant de devenir omniprésente. D’innombrables racines s’invitent également aux festivités. Les sommets du massif montagneux ne paraissent pas être très hauts, 744 mètres pour le point culminant de Raetea. Mais avec un sentier pareil, nous comprenons qu’il nous faudra en effet beaucoup de temps afin d’en passer à travers. Nous grimpons une pente d’une déclivité conséquente, enjambant les hautes racines, essayant constamment d’éviter la boue, nous bénissons nos bâtons de randonnée qui nous permettent d’avoir plus de stabilité. Nous décidons de lancer une compétition pour savoir qui fera le plus de chutes. Cinq minutes après, j’ouvre le score avec un magnifique enchaînement - dérapage arrière - sorte de triple axel pathétique - atterrissage de dos dans la boue. Nous sommes hilares.

 

La forêt autour de nous ressemble à une jungle. Nous avons bien sûr un espace qui sert de passage mais le reste est un véritable mur végétal. Les arbres sont grands, couverts de lichen et de tout autres types de végétaux. Il nous semble que chaque arbre possède sa biodiversité qui lui est propre, tant il y a de plantes qui s’accrochent à son tronc et à ses branches. Entre temps le ciel s’est couvert, un épais brouillard enveloppe maintenant Raetea, lui donnant un air encore plus mystérieuse. Pour les fans de la trilogie du Seigneur des Anneaux, bienvenue dans Fangorn (et pour ceux qui ne connaissent pas, Fangorn est une très vieille forêt où les arbres sont vivants, capable de réfléchir, de parler et même de se déplacer). D’ailleurs, je prends bien la précaution de ne pas enfoncer la pointe de mes bâtons de randonnée sur les épaisses racines, je tiens à ne surtout pas mettre les arbres en colère. Nous ne croisons et ne croiserons personne de la journée. Il n’y a pas une seule construction humaine. Nous sommes ici au cœur du royaume de la forêt et les arbres en sont les gardiens. Nous pensons avancer à un bon rythme et pourtant les embûches sont si nombreuses et si rapprochées que nous ne faisons que peu de distance. Sur la section la plus compliquée, nous n’avançons que de trois kilomètres en deux heures. Steffie égalise le score avec une magnifique chute sur les fesses dans la boue. Les acrobaties se succèdent pour éviter de se salir et nous rivalisons d’inventivité pour trouver des issues afin de contourner les pires passages boueux. J’entends derrière moi une chute suivi d’un éclat de rire, je crois que Steffie vient de prendre l’avantage ! Nos chaussures sont désormais d’une couleur indéfinissable, le bas de nos pantalons ferait pâlir la cour à Versailles. Les sommets s’enchaînent, ponctués de nombreuses montées et descentes. Une longue partie se fait sur les crêtes, nous donnant des points de vue sur la forêt, encore sur la forêt et toujours sur la forêt. Mais malgré la difficulté de notre avancée, nous n’échangerions notre place pour rien au monde. Nous prenons un tel plaisir à relever les défis qui se présentent. Nous nous sentons si privilégiés d’être dans un lieu aussi exceptionnel, aussi pur, aussi intact. Il semble que nous parcourons une aire qui n’aurait été différente si l’homme n’eût jamais existé. 

 

Après des heures à crapahuter, nous sentons que nous descendons de plusieurs centaines de mètres, la fin commence à se faire sentir. Nous entendons un bruit derrière nous et quelle surprise avons-nous de retrouver Ben, le visage radieux ! Parti 45 minutes après nous, il a réussi à nous rattraper et il semble qu’il ait pris un plaisir tout particulier à patauger dans la gadoue aujourd’hui. Alors c’est à trois que nous terminons les cinq derniers kilomètres. Le chemin descend en pente douce de ce côté de la montagne. La boue commence à se faire plus disparate. Je fais une dernière chute qui me permet d’égaliser au score, pas de vainqueur aujourd’hui. Nous atteignons le bas de la montagne, la forêt s’ouvre si subitement qu’il semble que nous passons de l’ombre à la lumière. Les bois laissent place à une étendue d’herbe grasse et nous nous y étalons, fatigués, sales, les muscles endoloris. Il nous aura fallu 08h15 pour en venir à bout, Ben aura mis 07h30

 

Raetea nous a laissé passer. 

 

 

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